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20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 09:50

Mon ami Mourlet m’a autorisé à reproduire le texte ci-dessous, dont un état  abrégé pour cause de mise en page a été publié ce mois-ci dans Service littéraire (N° 48, janvier 2012). J’ai pensé qu’une illustration pourrait  égayer un peu l’austérité du sujet.

 

LE TRICHAS

Extrait d’un dialogue retrouvé de Platon

Traduit du grec par Michel Mourlet

 

_________________________________

 

SOCRATE : Où cours-tu ainsi, Trichas, par les rues d’Athènes,  l’œil sombre, la chevelure encore plus désordonnée qu’à l’ordinaire?

TRICHAS : Tous solidaires ! Sauvons l’Euro !

SOCRATE : Sauver l’Euro ?

TRICHAS : Il faut sauver l’Euro, par tous les dieux. ! Ou bien la catastrophe sera plus terrible que l’engloutissement de l’île des Atlantes, décrit par la bouche de Critias.

SOCRATE : Soyons-en préservés ! Mais pourquoi la disparition de l’Euro serait-elle si effroyable ?

TRICHAS : Pour deux raisons, Socrate, qu’ignorent les démagogues. La première : tous les vrais économistes, dont je fais partie, l’affirment. Ce que les spécialistes proclament ne saurait être contesté. Seconde raison : l’Euro a été créé pour rendre notre cité plus riche, et inattaquable par les autres monnaies, la drachme de Sparte, la darique perse, la créséide de Lydie. En y renonçant, Athènes perdrait sa crédibilité financière.

SOCRATE : En effet, quoique cette crédibilité ne soit déjà plus qu’un souvenir, ce sont des raisons très fortes. Me permets-tu, Trichas, de les examiner tour à tour ?

TRICHAS : Je t’en prie.

 SOCRATE : Ainsi, tous les experts l’affirment, absolument tous ? 

TRICHAS : Pour dire vrai, il y a des exceptions. Quelques-uns ont jugé prématurée la création d’une monnaie unique ; d’autres, qu’elle était inutile, voire nuisible, et qu’il valait mieux une monnaie commune, ce qui n’est pas du tout la même chose, puisque cette dernière permet de conserver la monnaie nationale… principal signe, pardonne-moi le mot, Socrate,   de cette foutaise qu’on appelle souveraineté, autrement dit pour une nation : sa liberté de manœuvre ; liberté pour quoi faire, je te le demande un peu !  D’autres ont même estimé cette monnaie impraticable, vu la divergence d’intérêts des peuples et la disparité de leurs économies. Ces critiques, la majorité des vrais économistes les ont toujours taxées de fariboles. Il suffit de vouloir l’Euro pour que l’Euro soit.

SOCRATE : Il y a donc des objections à l’existence de l’Euro ?

TRICHAS : En fait, non, car il n’y a qu’une politique possible.

SOCRATE : Ah ! bien, fort bien. ! Et pourquoi donc, Trichas ?

TRICHAS : Parce que tous les vrais économistes l’affirment.

SOCRATE : Je t’entends. Mais sur quoi fondent-ils leur certitude, qui semble ton principal argument ?

TRICHAS : Sur le fait que l’Euro doit apporter à Athènes richesses et invulnérabilité économique et financière.

 SOCRATE : Assurément. Et les apporte-t-il ?

TRICHAS : Cela viendra.

SOCRATE : Oublions un instant que l’inverse s’est produit, motif de ton injonction : « Sauvons l’Euro ! » Est-il quelque avantage concret que cette monnaie une seule fois ait offert à ses détenteurs ? Avons-nous vendu une trière de plus ? Avons-nous un va-nu-pied de moins ? Sommes nous plus puissants que sous Périclès, lorsqu’il nous suffisait de la drachme pour commercer avec l’univers ?

TRICHAS : Des avantages, on ne voit que cela. Tous les vrais économistes l’affirment.

SOCRATE : Tant mieux. Tu me les énuméreras tout à l’heure, ces avantages, Trichas, je n’en doute pas. Et tu me citeras une foule d’exemples précis des gains qu’ils nous ont rapportés. Et si l’Euro est de taille à procurer tant de profits, il est à supposer que le Péloponnèse, que les Barbares, qui n’ont pas jugé utile de l’adopter, sont plongés dans une crise bien plus épouvantable que la nôtre ?

 TRICHAS : Socrate, pardonne mon insolence, mais tu raisonnes parfois d’étrange façon.  Sans doute il nous faut admettre que les Barbares du Nord, les Helvètes, les indigènes saugrenus (leurs chars roulent à gauche !) de cette île qu’on nomme je crois la  Bretagne, et Sparte, et ceux des terres glacées de l’Est, et les autres peuples du monde civilisé ou non, rencontrent moins de difficultés que nous qui avons la chance d’habiter la zone eurogène, celle du plaisir économique… Anomalie momentanée, puisque, on ne le répètera jamais assez, nous possédons le meilleur bouclier monétaire possible, mis en œuvre par la seule politique possible.

SOCRATE : Si je résume notre début de conversation, Trichas, ton raisonnement à toi est le suivant : les nations qui ont choisi l’Euro subissent un tel désastre qu’il menace l’existence même de leur monnaie. Il faut donc sauver à tout prix l’Euro qui nous a ruinés et pour ce faire, conserver la même politique, seule possible selon les experts, pour éviter une catastrophe encore pire : retrouver la situation antérieure, et meilleure, que connaissent les insensés qui n’ont pas suivi notre exemple. Ai-je bien compris ?

………………………

   (Fragment d’un dialogue de Platon, retrouvé en creusant pour le métro d’Athènes un tunnel dont les usagers ne sont pas près d’apercevoir le bout… Ceux d’entre nous qui,  sachant un peu de grec, en ont déchiffré la suite,  ont pu se rendre compte que tout n’allait pas vraiment dans le sens espéré par Trichas. Après ce très célèbre et influent économiste,  Socrate avait tenu à interroger nombre d’Athéniens parmi les plus qualifiés : archontes, orateurs, collecteurs d’impôts, négociants en huile d’olive, pour tenter d’obtenir au moins un argument solide en faveur du remplissage par les filles de Danaos du tonneau percé de l’Euro. Il en aurait entendu deux, qui justifient sans nul doute qu’un État abandonne sa liberté budgétaire, c’est-à-dire  la maîtrise de sa politique : un de ses jeunes disciples, épris des longues marches qui usent les sandales, appréciait que la monnaie unique facilitât ses achats de colifichets en pays barbare ; et un banquier crétois faillit  mourir d’une vapeur au cerveau à la pensée des modifications qu’il lui faudrait apporter, en cas de retour de la drachme,  aux relevés de comptes emportés sur les ailes  de ses pigeons voyageurs.)   

 Trichet.jpg 

   Jean-Claude Trichet à la recherche de l'Euro perdu

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